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Je suis resté chez moi, ce jour-là. Mais ce fut le sujet de conversation si longtemps que j’ai l’impression de tout avoir vu. Surtout la présence de nombreux chiens, la « demande », exigence, de « quelques euros » par leur maître, les commerces rapidement barricadés... « une véritable faune agressive déferlait sur la bourgade. » Comme l’écrira le Figaro, dans un facile exercice de caricature. De l’autre côté de l’échiquier politique, l’Humanité dégotait une famille exemplaire : ouvriers licenciés depuis
Trois ans, à la rue depuis mars, avec deux enfants. Mais ils n’osaient pas entrer dans les maisons de ces golden boys, avaient peur qu’on leur prenne leurs enfants. « On garde espoir, on sait qu’il y a pire que nous. Dans la rue, certains n’ont pas de
papiers, d’autres sont malades. Alors on tend la main et on dépense le moins possible, on vit dehors en été pour avoir les moyens de se payer l’hôtel cet hiver. »
De leur correspondante à Toulouse. Page tellement significative : en dessous de l’article s’étale un appel aux dons « pour que vive le pluralisme. » La cause des « nouveaux robins des bois » m’apparaissait perdue d’avance avec ce seul soutien médiatique,
m’apparaissait perdue d’avance, entre les griffes d’autoproclamés « anarchistes libertaires. »
Finalement, malgré la différence d’âge, de passé et de vie, je partageais de plus en plus l’opinion des anciens : « ça va mal finir. »
Aucune sympathie pour les riches propriétaires, aucune pour les squatters. Cette semaine-là j’ai vraiment pris conscience de mon inévitable marginalité : ni à droite, ni à gauche, ni aux extrêmes. Sûrement au centre gauche si les centristes n’existaient
pas. J’ai alors qualifié de spirituelle, philosophique, ma vie. J’avais déjà lu Arnaud Desjardin mais l’idée de rejoindre une communauté me semblait aussi déplacée que celle d’adhérer à un parti politique. Un solitaire, sûrement trop lucide même pour par
Tager une bière avec le premier venu. Plus j’observais la situation « avec détachement », plus mon cas m’apparaissait devoir se généraliser, seule issue à tout être de réflexion assez courageux pour ne pas tricher, ne pas abdiquer ni subir faute de mieux
. En même temps, je savais les « êtres de réflexions » condamnés à être liquidés lors des soubresauts politiques.
Je savais, rien qu’au village, radicalement déplaire aux pires crétins qui ne manqueraient pas de tenter leur chance en servant avec le zèle sanglant suggéré n’importe quel extrême au pouvoir. Mais bon, pour ma vie, aucune autre issue ne m’apparaissait
possible : la rupture avec le salariat était définitive et même si la situation politico-sociale l’exigeait, tout travail forcé serait réalisé sans implication. Et de toute manière, il était parfaitement possible qu’elle perdure encore quelques années en
France, la démocratie bancale garante de mes « libertés fondamentales ». Et je ne voyais aucun pays où résidaient plus de certitudes. Donc inutile d’apprendre une autre langue !
Ce raisonnement mettait fin à mes interrogations vaguement sociales. J’abandonnais même rapidement l’idée d’une prochaine contagion de ma démarche : les gens des villes tiennent trop à leur petit confort et ceux des campagnes ont encore plus rarement les
Capacités d’analyse nécessaires ; ma démarche continuera donc à être marginale, tellement marginale qu’aucune connexion ne reliera ses adeptes persuadés de défricher un mode de vie. Et c’est peut-être bien ainsi que nous serons un jour répertoriés !
Sur internet, je ne trouvais rien. Les termes « démarche spirituelle », « vivre mieux » ou « zen » renvoyaient déjà sur des sites sûrement sectaires. A vrai dire, j’étais sûrement déjà « de l’autre côté ».
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